Je suis dans le train, un peu hagard, entre Vendôme et Nantes. Mon téléphone sonne. Je m'extirpe de mon siège en mousse, place 42, voiture 2, classe 2, et me dirige vers l'entrée du wagon, derrière les portes vitrées. Le train ronronne, le son grave des roues sur les rails emplit l'habitacle, mais c'est ici qu'on a le droit de prendre les appels. Je décroche. C'est le CNRS. Dans 10 jours, je passe la nuit là-haut avec 3 copains.
Il est 16h. On s'est donné rendez-vous au pied du sentier des Muletiers, à 45 minutes de marche du sommet. Rémy porte le plus gros sac avec 3 duvets et des draps housse. J'ai insisté pour prendre mon attirail photographique ; mais je n'utiliserai que mon appareil et une focale fixe 35mm. Damien et Kévin nous rejoignent.
J'appelle Géraldine. Nous sommes arrivés au pied de l'Observatoire de Physique du Globe, qui culmine à 1465 mètres d'altitude, point le plus haut de la Chaîne des Puys en Auvergne. Ici, des scientifiques se relaient sous la tutelle du Centre National de la Recherche Scientifique et de l'Université Clermont Auvergne. Le dos trempé, le souffle court sous le poids du matériel, on prend le temps de contempler la vue. Les cimes en contrebas se parent d'ocres et de kaki. En haut les parapentes, en bas la ville et les forêts de pins ; on tourne autour de cette construction bizarre, du verre, du bois, du métal, des paraboles et un pic blanc qui s'allonge, s'étend, et transperce le ciel. Autour de nous, de l'herbe couchée par le vent, et à perte de vue, les montagnes et les plaines.
Nathalie, Aurélie et Géraldine nous font le meilleur accueil possible. On se rend compte de la chance qu'on a. Les labos se succèdent. Ici, la soufflerie capture les nuages et les expire à 450 kilomètres par heure. L'équipe y teste des pièces d'aéronautique sur lesquelles la glace s'amoncelle. Pas aujourd'hui, elle est en pause. Dans la pièce d'à côté, l'air est aspiré ; on en sépare les gaz et les particules, on les tamise, on les mesure. Sur le mur est affichée une courbe avec la concentration de CO2 dans l'atmosphère par année. Elle grimpe. Une bande de papier avec des cercles jaunes et gris sort d'une petite machine. Ce sont les particules fines qui ont été collectées. L'air est pourtant pur, au sommet du Puy-de-Dôme.
On grimpe encore. La porte donne sur le toit. La passerelle métallique est soumise aux vents rudes qui ne trouvent ici nul obstacle. Des dizaines d'instruments de mesure captent le rayonnement solaire, l'air, la radioactivité, la température, l'humidité, les particules... Ces données sont transmises au laboratoire qui les partage avec le monde entier. On retournera ici plusieurs fois dans la soirée, puis la nuit, avec pour seuls guides l'éclat de la Lune et celui de la ville au loin. Dans le dernier labo, il y a des fioles ; "Eau du Nuage", je trouve ça beau. Ici les équipes analysent la biologie de la brume. Beaucoup de bactéries, plein de noms latin, et des boîtes de Petri telles des galaxies.
Il y a des rires beaucoup. Des découvertes, encore plus. On mange, on boit, on partage.
1h30, fin de journée. On se fait une place dans le dortoir.
On dort au sommet.
Je me lève à 7h. On voulait profiter du lever de soleil, c'est raté. Une chape de brume recouvre tout. Par la fenêtre, je ne distingue rien à vingt mètres, tant l'air est chargé. Je me prépare à redescendre seul. Le hublot du couloir est resté éclairé. 8h, il est temps de décoller.
Le silence est assourdissant. La brume étouffe tout, même les lumières rouges de l'antenne. Je suis seul, absolument seul, avec les craquement des pierres sous mes chaussures. De l'eau perle dans ma barbe. Les arêtes du temple de Mercure se suggèrent à quelques pas, noir sur gris, et tout autour l'herbe est grasse, et les arbres noueux.
Avant l'arrivée de l'informatique, les familles des gardiens vivaient ici, dans le vent, la neige, le froid, relevant toutes les trois heures les mesures météorologiques d'une des premières stations de France. Je me dis que c'est fou. Cent cinquante ans que ça dure.
Au cœur des nuages.
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