On arrête l'utilisation de l'IA générative
- Grégoire Delanos
- 8 oct.
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 oct.
On en entend parler partout, ses icônes envahissent nos écrans, et elle devient indispensable dans tous les pans de nos activités... Enfin, c'est ce que les grandes entreprises qui dominent le marché veulent nous faire croire. Dans cet article, on aborde objectivement les mécanismes de notre dépendance croissante à ces outils et comment s'en sortir pour des pratiques numériques plus sobres et en conscience.

Au moment de débuter ces quelques lignes, revenons d'abord sur les raisons qui nous poussent à écrire ce manifeste, et étendre la série de nos engagements à l'intelligence artificielle, l'IA.
Sur toute la chaîne de production d'une photographie, l'IA peut intervenir. Avant même de nous contacter, nos potentiel·les client·es peuvent choisir en un prompt de générer une image sur les multiples modèles d'IA générative qui existent. Si finalement iels choisissent de faire appel à un·e photographe, le brief d'inspiration ou la rédaction des emails peuvent être générés par IA. Après la prise de vue, des logiciels de post-production proposent des retouches colorimétriques ou une utilisation de l'IA générative pour ajouter des éléments à une image.
🧑💻 Comment les modèles d'IA générative sont-ils entraînés ?
Pour générer des données, chaque modèle est entraîné sur des données réelles pré-existantes. En photographie, il faut donc que les modèles agrègent de nombreuses photographies authentiques pour parvenir à générer leurs images.
Chez Adobe, leader principal du marché des logiciels de photographie, l'IA s'appelle Adobe Firefly. Cela fait déjà quelques années qu'elle est implémentée dans Photoshop, et plus récemment dans Lightroom, jusqu'à s'étendre dans la totalité des logiciels de la Suite. Adobe déclare entraîner son modèle uniquement sur des contenus dont elle a obtenu les droits en rémunérant les créateur·ices présent·es sur sa plateforme d'images Adobe Stock, et ne pas utiliser le contenu de ses client·es, ni de contenu accessible sur le web (ce n'est pas le cas pour son lecteur PDF Adobe Reader DC). En revanche, elle utilise du contenu tombé dans le domaine public.
Ce n'est pas du tout le cas chez d'autres modèles IA comme ChatGPT ou Midjourney qui utilisent les ressources accessibles partout sur internet. Ainsi, le contenu des auteur·ices est volé sans leur consentement pour nourrir les algorithmes. Dans certains cas, des artistes ont même reconnu des éléments de leur travail dans les résultats générés par ces modèles.
🪲 Quel est l'impact environnemental de l'IA ?
Les études scientifiques sur le sujet mettent un peu de temps à sortir et sont pour le moins incomplètes tant les modèles évoluent vite et leurs capacités et consommation d'énergie augmentent de manière exponentielle.
La variabilité de ces impacts dépend des modèles (LLM = Large Language Models, deep learning, machine learning, etc.), l'entraînement de ces modèles nécessitant le traitement de nombreuses données au sein des datacenters qui les hébergent. Il faut aussi prendre en compte l'impact environnemental de l'infrastructure réseau et celle des utilisateur·ices. La tâche est presque impossible à quantifier, il faudrait connaître l'impact environnemental de chaque élément : le nombre, la localisation et le type de serveurs utilisés, la stratégie d'équilibrage entre les serveurs, le nombre de requêtes par jour, le nombre de modèles, etc.
Néanmoins, quelques conclusions peuvent déjà être tirées.
Une étude récente liste les impacts écologiques de l'expansion rapide de l'intelligence artificielle :
augmentation de la consommation d'électricité et questionnement sur les tensions du partage de l'énergie
augmentation des matériaux permettant de fabriquer les composants numériques, dont des terres rares dont l'exploitation entraîne de graves pollutions des sols et de l'eau
augmentation de la consommation d'eau pour le refroidissement des serveurs et questionnement sur le partage des ressources
artificialisation des sols due à la construction de datacenters
fort impact sur le rejet massif de gaz à effet de serre par la demande croissante en énergie et en matériaux
le faible taux de recyclage des déchets électroniques couplé au fort taux de renouvellement du matériel
"Pour 2024, le collectif GreenIT a estimé les émissions de gaz à effet de serre (GES) dues à l’IA, à l’échelle de l’Europe, à plus de 3 millions de tonnes CO2e (ce qui équivaut à près de 20 milliards de km effectués en voiture thermique)."
"De premières études estiment par exemple que la demande mondiale en eau de l’IA en 2027 sera équivalente à la moitié de la demande en eau du Royaume-Uni (Li et al., 2023). Ces forts besoins en eau peuvent ainsi s’avérer critiques en période de forte chaleur et de stress hydrique (Ademe, 2024)."
"Ainsi, Google a annoncé dans son rapport environnemental 2024 (Google, 2024) que ses émissions de GES ont augmenté de 48 % en 2023 par rapport à 2019 du fait de l’explosion des besoins en IA ce qui compromet leur objectif de réduction de leurs GES"
Selon cette même étude, même l'utilisation d'une IA frugale ne permettrait pas de maintenir nos engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de baisse de l'impact écologique de nos activités.
"on peut prévoir que toute avancée à court terme vers une IA plus frugale se traduira à moyen terme, selon un classique « effet rebond », par un accroissement de l’usage de ces objets numériques à base d’IA et de leur impact négatif sur l’environnement, renforçant un mode de vie non soutenable à plus long terme."
Je vous invite à aller lire cette étude complète de seulement 5-6 pages : Clouzeau, C., Courboulay, V., Delemme, M., Marini, J.-L., Nurit, E., Ribault, R. et Verdier, C. (2025). "Intégrer l’IA dans un service éco-conçu : oxymore ou réalité ?" Annales des Mines - Enjeux numériques, 29(1), 58-64. https://doi.org/10.3917/ennu.029.0058.
Dans un article du 4 octobre 2025, le média britannique The Guardian relayait une alerte sur les rejets supposés de PFAS dans l'environnement par les datacenters, utilisés pour leurs systèmes de refroidissement, et les semi-conducteurs qu’ils hébergent. Ces rejets ne sont à ce jour ni évalués, ni quantifiés, mais interrogent face à la persistance de ces "polluants éternels" et leur accumulation dans les écosystèmes. Le consensus scientifique met en avant le lien direct entre une exposition du corps humain aux PFAS et certains types de cancers (le PFOA est associé au cancer des testicules et des reins), des perturbations du système thyroïdien, des anomalies métaboliques (obésité, dyslipidémie), une baisse de fertilité et des atteintes hépatiques, rénales ou du développement embryonnaire.
🫥 Quel est l'impact social de l'IA ?
Il serait facile de penser que l'IA est totalement dématérialisée et indépendante de l'action humaine. En réalité, il n'en est rien. Des "fermes à clic" émergent partout dans le monde (au Kenya, à Madagascar, en Malaisie, aux Philippines, etc.) avec des travailleur·euses souvent exploité·es pour de maigres rémunérations, et dont le but est de trier des vidéos, classer des photos ou modérer des contenus violents après le premier tri informatique, pour améliorer les futurs traitements des requêtes. Ces conditions de travail difficiles sur le plan psychologique, font émerger ce qu'Antonio Casilli, professeur de sociologie à Télécom Paris (Institut Polytechnique de Paris), définit comme un "cyber-prolétariat".
Le non-respect du droit d'auteur et le pillage d'œuvres par de grandes entreprises titulaires de modèles d'IA générative, tel que le cas d'OpenAI et son outil de génération d'images "style Ghibli", fait peser sur les artistes de sérieux risques sur le détournement de leur travail sans leur consentement et une paupérisation croissante sans accords de rémunération en contrepartie. La SAIF, société de gestion de droits collectifs pour les auteurs de l'image fixe, "appelle à instaurer un véritable partage de la valeur par la mise en place d’une compensation équitable pour rémunérer les usages massifs d’œuvres protégées par les opérateurs de l’intelligence artificielle générative".
Enfin, l'impact sociétal de l'IA a de nombreuses externalités négatives, constatant que ses acteurs ne sont formés que de quelques grandes entreprises en position de monopole sur leurs technologies, à l'usage de leurs propres bénéfices, et non au service du bien commun. Cela pose des questions de démocratie et d'objectivité de l'information, quand certains algorithmes comme l'IA "Grok" d'Elon Musk, sont manipulés pour servir des discours d'extrême-droite, divulguent des fake-news, ou génèrent des images photo-réalistes de personnalités menant à une confusion voire une tromperie, et même à des deepfakes pornographiques. On pense notamment à la journaliste Salomé Saqué ayant pris publiquement la parole pour avoir été victime de ce type d'attaques.
"la concentration des technologies de pointe entre les mains de quelques grandes entreprises modifie substantiellement les rapports de forces et les équilibres de pouvoir traditionnels"
— Kathleen Desveaud, docteure, professeure et chercheuse à Kedge Business School et responsable du laboratoire de recherche Digital & Data Marketing. (2024). Chapitre 4. Des remises en question sociétales importantes. L'intelligence artificielle décryptée : Comprendre les enjeux et risques éthiques de l'IA pour mieux l'appréhender (p. 161-249). EMS Éditions. https://shs.cairn.info/intelligence-artificielle-decryptee--9782376879602-page-161?lang=fr.
❌ Dans quels domaines LA HUTTE décide de s'en passer ?
🫸 Les IA génératives d'images sans contrôle du droit d'auteur
Le studio n'utilisera pas d'IA générative d'images sans contrôle du droit d'auteur dans la réflexion, la fabrication ou la retouche photographique pour ses client·es : pour faire simple, il n'y aura aucun contenu généré en IA dans les images finales livrées aux client·es. Cela exclut l'utilisation de Midjourney, Stable Diffusion, PhotoRoom, Canva, Ad Creative.ai, Flair AI, GPT-4o et ses versions antérieures et ultérieures, Pixlr, Craiyon, etc.
🫸 Les IA génératives de texte
Le studio n'utilisera pas d'IA générative de texte dans la réflexion, la fabrication ou les échanges avec ses client·es.
✅ Dans quels domaines LA HUTTE peut avoir recours à l'IA et avec quels outils ?
✔️ L'IA entraînée et basée sur notre propre travail
Le studio pourra avoir recours à des outils utilisant l'IA, uniquement lorsque celle-ci est entraînée sur nos propres images ou que le contenu généré en est issu :
le remplacement d'après le contenu, un outil déjà présent sur Adobe Photoshop depuis plusieurs années et qui ne remplace du contenu d'image que d’après les zones sélectionnées au sein de celle-ci.
le redressement automatique : la détection des verticales dans une image permettant au logiciel (Adobe Lightroom) de calculer sa rotation.
la correction d'exposition automatique, et l'application de réglages colorimétriques basés exclusivement sur nos propres retouches.
✔️ Les outils de sélection intelligente
Le studio pourra recourir, au cours du processus de retouche, à des outils de sélection intelligente (sujet, personne, cheveux, objet, etc.). Ces outils font gagner un temps très conséquent au sein du processus de retouche. La sélection intelligente permet simplement de détecter automatiquement un sujet sur une photographie. On peut alors y appliquer soi-même les réglages voulus. Cet outil utilise le cloud.
🤔 Quels outils le studio pourra utiliser ?
Le studio travaille avec la Suite Adobe, qui intègre son modèle Adobe Firefly. Son utilisation ne sera cantonnée qu'aux usages décrits ci-dessus.
Le studio utilise également, pour du reportage, l'outil Imagen AI, uniquement entraîné sur nos propres images, afin d'automatiser la balance des blancs, l'exposition, les réglages colorimétriques mis au point par le studio, et le redressement automatique. Cet outil utilise le cloud. Chaque photo est ensuite finalisée manuellement : le résultat en sortie de logiciel sert de base de travail.
Pour le moment, il est impossible, faute de données et malgré nos sollicitations envers ces fournisseurs, de quantifier l'impact environnemental de l'IA dans une production audiovisuelle.
🔮 Comment faire évoluer ses pratiques en limitant son utilisation de l'IA ?
Il est d'autant plus facile de choisir de ne pas adopter les outils d'IA générative dans le travail de photographe, ou de créateur·ice au sens large, au moment où ces outils commencent tout juste à se démocratiser dans les professions créatives. Cela permet de ne pas dépendre de ces logiciels, dès maintenant.
Créer de la dépendance, c'est exactement ce que cherchent à faire les grandes entreprises propriétaires de logiciels. Lorsqu'il y a dépendance, il n'y a plus de résilience en cas d'arrêt brutal de la disponibilité de l'outil, cela pose évidemment question quand la plupart de ces entreprises ne sont pas sous souveraineté nationale ou même européenne, mais plutôt sous giron étasunien.
Landia Egal, autrice-réalisatrice et productrice, dans une conférence donnée lors des Assises de l'écoproduction en décembre 2024, alerte sur les effets rebonds de l'utilisation de l'IA : on gagne en efficacité, certes, mais si cela fait accroître la production, le gain d'efficacité est effacé et entraîne irrémédiablement de nouveaux impacts environnementaux.
Elle liste les solutions possibles face à l'accroissement de l'utilisation de l'IA dans la création :
se former sur le sujet et ses impacts pour mieux comprendre comment se situer par rapport à elle ;
chercher à maximiser les externalités positives et minimiser les externalités négatives d'une production, notamment en promouvant de nouveaux récits plus frugaux et vertueux socialement ét écologiquement ;
chercher à travailler plutôt avec des humain·es qu'avec des machines ;
travailler avec des modèles d'IA spécialisés, et donc plus frugaux en énergie, open-source, en étant capable de quantifier leur impact et pouvoir réaliser un retour critique objectifié par des chiffres ;
refuser que nos données numériques soient utilisées pour entraîner des modèles IA ;
se regrouper collectivement et demander de la transparence aux fournisseurs de services IA sur l'impact environnemental de leurs modèles et l'origine de leurs données d'entraînement ;
proposer des futurs désirables, soutenables, et porter un combat politique de justice sociale, économique, écologique pour d'avantage d'éthique et de démocratie, pour la sobriété heureuse, en rejet des imaginaires technosolutionnistes dominants d'un capitalisme dérégulé.
Et vous, c'est quoi votre position face à l'IA générative ? Racontez-nous en commentaires 👇
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